Rencontre incongru

La-dite bête me semblait d'un pelage assez clair pour un loup-garou. Non pas que je sois un expert en la matière, mais sa fourrure immaculée, sans aucune trace de blessure, me donnait l'impression d'avoir affaire à un individu assez jeune et surtout, surtout, sans un passé de combattant. Ce qui étais plutôt bon pour moi, même si, avouons-le, je n'en menais vraiment pas large.

Ayant à peine eu le temps d'observer le nouveau venu, voilà qu'il changeais déjà de forme. En une poignée de secondes qui me parurent une éternité, l'inconnu se redressa et les vilaines choses pointues qui auraient pu me transpercer aisément se résorbèrent pour réintégrer ses mains, ses pieds, sa bouche. Une silhouette maigrichonne (enfin, pas autant que moi) s'offris à moi. Bon, c'étais déjà plus rassurant. Le jeune homme en question devait avoir à peu près mon âge. Cheveux bleus, yeux ambres... Décidément, le bon vieux brun avec yeux marrons n'étais plus à la mode. Je notais avec étonnement ses lèvres violettes, et surtout la présence de papillons aux couleurs froide lui virevoltant autour. Vraiment très étrange cette histoire... Restant sur mes gardes, j'attendais la suite. Avec une légère hésitation, le jeune homme pris la parole :

-Euhhh... Bonjour... Qui êtes vous ? Je me nomme Ulryn Lupacir. D'où venez-vous? Je peux vous emmener quelque part?

Ah. Bien. Je devais bien être tombé sur le seul individu non-violent de la vaste race des loups-garoux. Il semblait même apeuré. C'étais bon pour moi ça... Voyant le danger reculer quelque peu, j'entrepris de me lever. Heureusement, je n'avais rien de cassé, tout étais plus ou moins fonctionnel. Et c'est à ce moment-là que mon cerveau fit "tilt".

Attends attends attends. Un loup-garou!? Une foret sombre!? Une forte nausée!? Dites-moi que c'est pas vrai... Mais il n'y avais pas d'autre explications, c'étais forcément ça... J'avais été aspiré par une faille non-officielle, me retrouvant dans le monde le plus dangereux jamais répertorié, à savoir Rerum. Oh non non non non non ! Vite, retraverser la faille! Me retournant brusquement, je ne pus que m'apercevoir... que mon seul espoir de retour plus ou moins paisible venais de disparaître, et Taro avec. Mais les animaux n'étaient pas censés être repoussés par les failles? J'étais vraiment tombé sur une bestiole stupide... Ou alors très intelligente, mais j'en doutais.

Mais là n'étais pas le problème. Je me retournais lentement vers le dénommé Ulryn, soudain très lasse... Un soupir m'échappa. Faisant preuve de toute la diplomatie possible, je m’adressais au jeune loup :

-Et bien... Je m'appelle Lowen Kadaros, de Technologia. Il semblerais que je sois arrivé dans votre monde par erreur... Si cela ne vous dérange pas... J'aimerais vraiment que vous m'indiquiez la direction de Lunaria... S'il-vous plait...?

Soyons honnêtes. Mes chances de survie étaient très faibles. Déjà, traverser la foret seul me paraissais suicidaire. Mais je n'avais pas osé lui demander de m'accompagner... Qui sais, peut-être qu'il jouais la comédie et que j'allais être tué sur place. Bon sang, tout ça à cause du chef... Déglutissant avec peine, je guettais la réaction de celui qui allais décider de mon sort...

La sentence mis plusieurs secondes à arriver. Ulryn semblait me détailler, et il souris un instant. Je ne sais pas pourquoi, mais je me sentis vraiment insulté. Laissant de côté cette impression fugace, j'écoutais ce que le jeune homme avait à me dire. Sans s'approcher, il déclara :

- Lunaria est à plus d'une semaine de marche pour un homme normal, au mieux, il vous faudra 9 jours de marche...

Neufs jours !? C'étais vraiment la campagne ici (si je pouvais dire)... Je n'aurais pas pu, je ne sais pas, atterrir à une demis-heure de marche de la capitale ? Evidemment que non... Ulryn repris :

- Sans parler de la nourriture et des ennemis qui rodent dans la forêt. Je peux vous proposez de venir chez moi, ma mère à déjà côtoyé des humains. Vous inquiétez pas, elle n'est pas du genre agressive. Il nous faudra 2h à pieds si on marche avec une bonne vitesse... Si vous acceptez qu'un loup garou-vous accompagne bien sur...

D'accord. Tu m'as eu, hasard dégueulasse. Ça t'amuse que je devienne parano en réfléchissant à ma propre survie hein ? Très bien, puisque c'est ça, je ne réfléchis plus. C'est trop compliqué tout ça, mon cerveau est en grève. Ainsi résolu, je me décidais à accepter son offre :

-Si la présence d'un inconnu ne vous dérange pas, je serais ravi de profiter de votre hospitalité le temps que je trouve une solution à mon problème.

Il ne manquerais plus que la révérence. Je ne suis pas fou non plus, je garde la diplomatie. Je pris un instant pour considérer toutes les informations que j'avais eu. Deux heures de marche rapide ? Ça allait vraiment être difficile... Ce serait mon sport de toute l'année à venir ce petit stage sur Rerum...
Par ailleurs, sa dernière phrase m'intriguais un peu... Il étais habitué à être rejeté ou quoi? Je ne lui voyais pourtant aucun problème... Il n'étais pas très accueillant sur Rerum on dirais... Une question me traversa soudain l'esprit. Sans plus attendre, je la posais à mon possible salvateur :

-Dites... Il n'y aurais pas un moyen d'envoyer un message aux autres mondes d'ici ? Genre une lettre ou quelque chose du genre ? Je devrais prévenir mon chef de mon... Léger contretemps...

Je me demandais si j'allais être considéré comme un hors-la-loi si je m'en sortais...

Bon, ce n'étais pas le moment de se poser ce genre de questions. Advienne que pourra, je devais d'abord me sortir de là. Ulryn brisa mes espoirs de communication en annonçant :

- Si ça ne vous dérange pas, il faudrait partir maintenant… Sinon on arrivera à la tombé de la nuit. Et la faune de Rerum est plutôt dangereuse pendant cette période.

J'avais juste l'impression que ma dernière réplique avait été totalement ignorée... Mais, vraiment, merci de me rappeler à quel point je me trouvais sur une planète dangereuse. N'ayant aucune envie de croiser quelque chose de plus menaçant qu'un vindex, je m'empressai de répondre par l'affirmative. Mais j'y pense, est-ce que je n'avais pas endommagé mes affaires dans ma chute !? L'angoisse me pris, et je me mis à farfouiller furieusement dans ma sacoche pour en sortir ma Game Boy. Dieux soit loué (bien que je ne sois pas croyant), elle était intacte. Je me félicitais intérieurement de ne pas avoir emmené ma 3DS, plus fragile, qui n'aurait sûrement pas résisté au choc.

Mon doute ainsi dissipé, j’emboîtai le pas au jeune loup tout en, bien sûr, gardant une certaine distance de sécurité. La marche allait être longue... Je sortis machinalement une sucette de mon stock de sucreries et l'enfournais dans ma bouche. Saveur cassis, ma préférée... Rien de mieux pour me remonter le moral. Je regardais vaguement les alentours, bien inutilement, car j'étais incapable de me retrouver dans ce dédale de verdure et ses arbres monotones. Tout se ressemblait, me donnant une furieuse impression de tourner en rond. Un silence pesant s'était installé entre nous deux. C'étais à moi de lancer la conversation ? Allons-y pour les classiques alors. Avec un ton que je voulais amical, je demandai à Ulryn :

-Tu as quel âge? À peu près pareil que moi non ? J'ai 19 ans. Et... tu fais quoi dans la vie...?

Quoique, je ne sais pas si un jeune loup garou habitant aussi loin de la capitale ait une quelconque activité semblable à un travail. Je n'étais pas très informé sur les autres mondes, à part Univers évidemment.

Le trajet se poursuivais, et bon sang ce qu'Ulryn marchait vite ! Il croyait vraiment que j'étais sportif, avec l'état de mon corps ? Enfin bref, le jeune loup répondis enfin à ma question :

-J’ai aussi 19 ans. Je vous pensais plus jeune que ça…  Du genre… La quinzaine. Je travaille avec mes parents… C’est que les hybrides ne sont pas très appréciés ici…

Oui, j'étais assez fière de faire toujours aussi jeune. Mais il pensais vraiment que les humains de 15 ans étaient aussi grands ? Il manquait de culture, lui. Revenant sur la fin de sa réponse, je sentis un certain intérêt grandir pour lui. Un hybride ? Ça ne se voyait pas beaucoup ! Je voulus le questionner pour obtenir de plus amples informations, mais un point de coté fulgurant vint me couper le souffle, m'obligeant à garder le silence un long moment. Alors que je luttais contre la douleur, Ulryn repris :

-Si vous voulez envoyer un message à votre chef, il faudra attendre au moins demain. Le seul moyen de communication « rapide » de cette planète est le vaisseau postier qui passe toutes les semaines. Si vous voulez, j’irais demain poser votre message… Ce n’est pas que je doute de vos capacités physiques, mais je pense qu’un loup-garou va plus vite qu’un « simple » humain, sans méchanceté.

Ouah, un peu de bonheur pour assaisonner mon malheur ! Un seul jour de délai pour un envoi, je crois bien que c'est vraiment pas mal ! Mais quand même... Comment ça un "simple" humain ? Les loups sont programmés pour être hautains jusque dans leurs gènes ou quoi ? Ah moins que le damoiseau n'ai des origines vampiriques, fait peu probable...  Ravalant mon amertume, j'entrepris de le questionner sur mes interrogations premières :

- Vraiment, tu es un hybride ? Ça ne se voit pas tellement ! Tu as quoi comme origines ? Ça a un rapport avec les papillons qui te suivent ? Si tu as eu un minimum de chance dans le mélange génétique, tu dois avoir des capacités des deux espèces non ? C'est vraiment sympa !

Je fis une pause pour reprendre mon souffle, et ajoutais-je, quand même (oui, je suis susceptible) :

-Et d'abord, je ne suis pas humain ! Techniquement, je suis aussi une sorte d'hybride, vu qu'on est allé me trafiquer les gènes. Bon, sans grand succès, je te l'accorde...

Un hybride entre l'humanité et la science... Comme ça sonnait bien !

Ulryn n'ajouta rien pendant un certain temps, si bien que je ne pu me rendre compte des effets que lui avaient fait ma dernière tirade. Peut-être que j'aurais dû lui mentir, et aborder les choses avec plus d'optimisme ? Non, à la réflexion, ça n'aurait pas servi à grand chose, tout en m'obligeant à constamment prendre compte de l'histoire que je lui aurais raconté. Et puis, la pauvre petite chose innocente aurait peut-être subit une cruelle désillusion un peut plus tard dans sa vie ; je ne voulais pas en être la cause. Tout en agitant ces sombres pensées, je me rendis compte que le paysage se modifiait légèrement. Principale nouveauté, la présence de mécanismes installés au sols, rudimentaires mais non moins dangereux, du moins de ce que je pouvais en juger. Sans doute des pièges... Et quand je pu vérifier cette hypothèse, je dus retenir un haut-le-cœur : un pauvre petit animal ailé, ressemblant à une biche, des attributs insectoïdes en plus, y était coincé, plus proche de la mort que de la vie. C'était donc ce genre de choses qui poussaient les gens à devenir végétarien... Quelque part, je les comprenais.

Quand enfin Ulryn reprit la parole, ce fut pour annoncer notre arrivée imminente. Il n'avait pas l'air trop déçu par mes révélations sur Technologia, c'était plutôt le contraire en fait... Et effectivement, en plissant les yeux, j'aperçus un petit jardin médicinal ceint d'un muret de pierres blanches, qui contrastaient avec l'atmosphère du Monde dans lequel je me trouvais. Des papillons y virevoltaient, mais ils semblaient différents de ceux qui accompagnaient Ulryn. Je me mis à rêver d'une maison confortable, moelleuse, d'un bon bain chaud... Je fus un peu déçu en découvrant l'habitation : un air résolument rustique. Je n'allais pas pouvoir compter sur les dernières technologies pour me relaxer... Mais je n'avais pas lieu de me plaindre. Tous ce bois et ces planches, patiemment et méticuleusement mis en place avec de la ficelle blanche dégageait la forte impression d'un foyer chaleureux construit avec beaucoup d'efforts et d'amour. Il n'existait rien de tel à Technologia, surtout dans mon cas... La maison semblait abriter quatre pièces, quatre petites huttes qui sonnaient l'impression d'avoir fusionnées entre elles. Il y avait des fenêtres, mais elles étaient dépourvus de verre, simples trous dans les murs. Je songeai que, si les hybrides et les couples inter-espèces étaient aussi mal acceptés qu'ils semblaient l'être, alors il ne devait pas être évident pour eux d'accéder aux produits issus des échanges inter-Mondes. D'autant que sur ce point, Rerum était assez fermé.

Le Soleil, si rare, venait pourtant taper sur l'habitation. Ses alentours étaient propres et bien entretenus, et un semblant de chemin en partait pour aller s'enfoncer dans la forêt vers l'est. La vue de cette demeure paisible me fit presque oublier que je me trouvais sur Rerum. Je dis presque, parce qu'il y avait quand même une vague odeur de sang qui flottait dans l'air...  Aucune trace d'élevage ou de culture, à part l’idyllique petit jardin médicinal attenant à la maison. Cette cellule familiale semblait uniquement basée sur un système 100% chasseur-cueilleur.  Un niveau de civilisation assez faible donc. Mais l'on pouvait opposer à cela l'ouverture d'esprit de revendiquer leur couple inter-racial et sa dépendance, alors je partais assez optimiste pour cette première rencontre...

Nous pénétrâmes dans une des pièces du bâtiment en bois, qui semblait être l'entrée et la pièce à vivre. Personne ne s'y trouvait. Comme je l'avais supposé, le mobilier était très rustique, mais cependant décoré avec soin. L'odeur du fer avait laissé place à celles de différentes herbes qui m'étaient inconnues. Je contemplais ainsi la pièce, le nez en l'air, quand ce qui semblait être le père d'Ulryn entra dans la pièce.


[Je suis sympa quand même, je te fais une super belle maison X) ]

J'avais bien cru qu'Ulryn allait m'offrir de quoi m’asseoir, mais ce moment divin fut une fois de plus repoussé, cette fois-ci par l'arrivée d'un homme dans la pièce. Autant dire que cela m'irrita beaucoup.  Mais je me gardais bien de le montrer : sans doute était-ce dû à la carrure de rugby-man  du père d'Ulryn ? Tous mes sens me hurlaient de ne pas l'énerver, sans doute à juste titre : il semblait déjà avoir fait ses preuves. L'odeur de sang devenait insupportable autour de lui, sans compter que le fameux liquide perlait de ses dents bien visibles et venait rendre poisseuse sa courte barbe. C'était bien suffisant pour m'imposer le respect. Mais à cela s'ajoutait tout de même un tas de cadavres déposés à l'extérieur, majoritairement constitué du même type de petit animal volant que la créature qui agonisait dans un piège non loin de là. Charmant. Il me semblait pourtant que c'était des animaux de compagnie... Mais je ne pris pas vraiment le temps de m'apitoyer sur leur sort, reportant mon attention sur la source principale de danger : le loup-garou baraqué qui obstruait toute l'entrée. Je sursautai en voyant qu'il s'était rapproché de moi depuis que je l'avais quitté des yeux. Ce genre de surprise n'était pas à mon goût...

Il portait un petit polo blanc qui moulait à merveille ses muscles bien dessinés. Une vraie gravure de mode sur ce point là. Cependant, son visage ne suivait pas exactement les mêmes standards, affichant un air plus bourru en accord avec sa vie en pleine nature. Ulryn eu la gentillesse de me présenter de façon plutôt amicale, j'eus donc l'espoir que les dangers imminents avaient été écartés. Même si l'expression du chef de la maison ne me rassurait pas vraiment...

J'entendis soudain des bruits de pas feutrés derrière lui. Inclinant le plus légèrement la tête, pour ne pas courir le risque de paraître impoli, j'aperçus une femme de petite carrure contourner le tas de viande, sans monter un seul signe de désagrément. Impensable. Bien qu'elle me semblait parfaitement humanoïde, j'estimai qu'il s'agissait de la mère d'Ulryn, une sorcière donc. Il se dégageait d'elle une grande douceur. Sa vision apaisa un peu mon pauvre petit cœur tourmenté par l'imposant loup-garou qui me faisait face. Cependant, bien que visiblement extrêmement calme, ses yeux pétillaient d'une émotion forte qui ne me laissait présager rien de bon. Il me semblait que c'était... de la curiosité. Allait-elle me harceler de questions jusqu'à ce que mort s'en suive... ? Face à la menace d'un entretient imminent, j'appliquai automatiquement sur mon visage un sourire aussi professionnel que possible : j'étais prêt à accueillir le flot déchaîné d'informations.