Rencontre au milieu des livres

Peu de personnes s'aventuraient jusque dans ces rues éloignées du centre de Medicis. Mais moi, je les connaissais par cœur, après des années à y errer... Ma seul crainte était de croiser un membre de Colors que je connaisse. Ici, les caméras de surveillance étaient rares : personne ne s'intéressait à un endroit pareil. On se sentait presque à la campagne, par rapport à l'effervescence anarchique des lieux les plus populaires. Ici, la route était encore bétonnée et seules de faibles lumière rongeaient l'ombre par endroit.
Mais le temps n'était pas à la nostalgie. La devanture de la boutique que je cherchais se profilais devant moi. Une vitrine sans aucun circuit électronique était enserrée entre de massifs bas-reliefs de bois. On pouvait lire sur une pancarte à travers la vitre poussiéreuse : "Entre les lignes". En pénétrant dans l'atmosphère feutrée de cette librairie, on était assaillis par un sentiment d'humilité puissant. Des livres de toutes sortes s'entassaient sur des étagères de bois fatiguées. Un petit comptoir relié à l'arrière-boutique accueillait toujours le même vieil homme. C'était un humain provenant de l'Univers, de Londres m'avait-il dis une fois, bien que n'avait aucune idée de la localisation de cette ville. Plus jeune, j'avais souvent observé cet endroit avec envie, de loin. Mais la premières fois que j'avais franchis ce palier, je n'avais ressentis que de l'amertume...
Secouant la tête pour chasser ces pensées moroses, j'aperçut soudain une fillette dans un coin de la boutique. D'habitude vide de tout visiteur, je n'avais jamais croisée qu'une seule personne dans ce lieu oublié. Totalement absorbée dans ses recherches, elle ne releva pas mon arrivée. Prenant le parti de l'ignorer, je me dirigeai vers une autre partie de la boutique et commença à fouiller les étagères pour trouver de quoi m'occuper une fois rentré.

Cela faisait un bon moment qu 'Ariane n'avait pas poussé la porte (et vraiment, l'endroit était l'un des rares où l'expression pouvait encore être utilisé sans anachronisme à Medicis) d'Entre les lignes. Il faut dire que le voyage pour y parvenir avait des petits airs d'expédition – mais son charme venait en partie de là. Ses parents n'appréciaient guère que la petite se balade aussi loin du centre-ville (synonyme pour eux de sécurité), mais voilà, elle avait un besoin urgent de poussière, d'atmosphère feutrée et de livres papiers.

Ayant laissé son robot compagnon à l'extérieur (elle aurait eu l'impression de commettre un petit sacrilège en laissant la technologie s'infiltrer dans la boutique), elle salua le libraire en coup de vent avant de se plongea rapidement dans ses recherches. Un petit sourire de satisfaction apparut sur son visage : des nouveautés avaient fait leur apparition, et on dirait qu'elle allait devoir passer un moment à trier le bon grain de l'ivraie...Absorbée dans ses délibérations, elle ne remarqua pas le son – pourtant relativement inhabituel – de clochette marquant l'arrivée d'un nouveau client. Ce ne fut que quand elle s'approcha de la caisse, une demi-douzaine de romans sur les bras, que l'incongruité de cette présence étrangère à la boutique la frappa. Tout doucement, comme un prédateur ne voulant pas effrayer sa proie, elle déposa sa pile de livres sur le comptoir et se coucha à moitié dessus, dans l'espoir de mieux apercevoir l'inconnu. Elle sentit le regard interloqué du libraire et qu'il s'apprêtait à dire quelque chose ; elle régla le problème avec son savoir-vivre habituel et plaqua directement sa main sur la bouche du vieil homme en lui décochant un regard menaçant (elle était en pleine investigation, ça se voyait non?).

Elle reporta son attention sur son nouveau sujet, ou plutôt sur la seule chose qui comptait vraiment à son propos : le livre entre ses mains. Tout à coup Ariane identifia la couverture et, ce fut plus fort qu'elle, elle se téléporta littéralement au côté du jeune homme.

« Toi ! Tu LIS la couronne de glace ??? »

Après une petite moue que je n'arrivai pas à expliquer, elle ouvrit la bouche pour débuter sa réponse :

"Ariane. Je viens à peu près à chaque fin de semaine... Et je vais encore en cours, bien sûr. J'ai juste fini en avance aujourd'hui. C'est peut être pour ça qu'on s'est croisé , je ne vois personne d'habitude."

C'est sûr que ce n'étais pas le lieu le plus populaire de la ville...

"Enfin, personne d'intéressant."

La surprise dû se lire sur mon visage. Je ne savais pas si elle se rendait compte de ce qu'elle venait de dire, mais si c'étais le cas elle avait de l'audace pour me l'énoncer sans sourciller... D'un autre côté, je me demandais quels pouvaient bien être ses critères pour que je sois catégorisé comme quelqu'un "d’intéressant"... Sans se démonter, elle enchaîna avec d'autres questions. Elle devait être l'inconnue à m'avoir posé le plus de questions pour notre première rencontre.

"Tu travailles dans quoi? Tu habites Technologia non? Tu as une holowatch."

Pourquoi elle s'intéressait à ça? Avant que je ne puisse résoudre cette énigme, elle s'avança vers le libraire pour le libérer de la menace que représentais la gravité pour lui, et le payer par la même occasion. Tandis qu'il calculais pour combien elle en avait, Ariane se retourna vers moi et me regarda de l'air de dire: "Qu'est-ce que tu fais? Dépêche-toi, je t'attend pas toute la journée" Le fait que je la suive était si évident que ça à ses yeux ? D'un autre côté, les rues n'étaient pas sûres par ici, et le soleil commençait à décliner... Juste pour être sûr, je lui proposai de la ramener, ce qu'elle accepta tout naturellement. Je pris quelques livres en vitesse et les présenta aux libraire qui avait renoncé à comprendre quoi que ce soit. Me souvenant de l'immense pile qu'Ariane avait acheté, je lui dis :

"Je vais t'aider à porter tes livres, ça a l'ai assez lourd. Ah, et pour répondre à tes questions, lui dis-je en prenant de ses livres sans attendre sa réponse, j'habite à Medicis depuis ma naissance, et je fais partit de l'U.R. Enfin, c'est un travail de bureau, rien de bien passionnant pour une enfant comme toi."

Le téléporteur approchait, toujours et encore... Qui avait donc inventé cette horreur ? Faiblement, je fouillais dans ma sacoche pour trouver mes médicaments, tout en maintenant nos livres de l'autre bras, tremblant sous l'effort (c'étais tout de même une performance non négligeable). Ariane repris la parole, manquant de me faire perdre le précieux équilibre que je tentais de maintenir.

- Ça ne dois pas être évident. Enfin, ne te relâche pas pour autant hein ? Être membre de l'U.R. signifie garantir la sécurité de Technologia, c'est une tâche noble, peu importe ton rôle et ton poste !

J'émis un petit rire nerveux. Si elle voyais mon niveau d'assiduité au bureau, elle déclarerais sûrement que la paix de Technologia et de tous les autres mondes étaient grandement compromises... Heureusement que mon chef de section et les autres bûcheurs du genre rattrapaient toujours le coup. (Faites que personne ne découvre jamais cette pensée...) La petite brune reprit la parole lorsque nous nous arrêtâmes devant le téléporteur (dire que j'avais réussi à l'oublier pendant quelques secondes...) :

- ... Bref, je vais devoir y aller pour aujourd'hui... Merci de m'avoir porté mes livres.

Sur ce, elle les repris, et mes petits bras la remercièrent mille fois. Elle me semblait encore déçue d'avoir été traitée comme une gamine. Décidément, je n'étais pas à l'aise avec les enfants... Je jetais un coup d’œil à ma propre holowatch. Effectivement, il étais temps pour moi de rentrer, surtout si je voulais avoir le temps de tester le nouveau jeu que j'avais reçu aujourd'hui. Et de commencer cette fameuse Couronne de Glace que j'avais finalement acheté. J'en étais là à baver sur mes projets de soirée lorsque Ariane me tendis son poignet :

-Approche ton holowatch que je puisse enregistrer ton I.D... Histoire qu'on discute de la Couronne de Glace quand tu l'auras fini.

Oh mon dieux, un nouveau contact pour mon répertoire désertique ? Je tendis fébrilement ma propre main et les contacts furent échangés en quelques secondes. À la réflexion, nous allions sûrement nous recroiser à la librairie avant que je ne me décide à la contacter... Ce jour-là, il faudra que je fasse attention à la traiter comme une adulte, elle semblait plutôt du genre explosive cette fille. Alors qu'elle franchissais le téléporteur, je me fis la réflexion que je ne savais rien d'elle à part son nom. Il faudra rectifier ça à notre prochaine rencontre notais-je, j'aimais être informé sur mes connaissances (sans vouloir passer pour un harceleur).

Rapidement et ce avant que mon cerveau ne réalise ce qui allait lui arriver, j'enfournais une gélule contre le mal des transports dans ma bouche et franchis le téléporteur d'un grand pas.